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  • Photo du rédacteurAmélie Sasseville

Un mois de volontariat dans un refuge d'animaux sauvages | 2e partie

Dernière mise à jour : 2 janv.

🗓️ Septembre 2022

— J'ai déjà travaillé au Québec, que me dit Damien tandis qu’il m’observe nettoyer la cage des Aras rouges. Dans le Grand Nord.


— Ah ouais, t'es allé dans le Grand Nord? Kuujjuaq?


— Euh non, c’était pas Kuu... Kuu-quoi? C'était un petit village, les gens se déplaçaient en motoneige.


— Puvirnituq?


— Non plus. Mince, je me souviens plus du nom.


C'est la dernière journée de ma formation, après deux jours et demi or so. Demain, ce sera moi contre toutes les bêtes, qui doivent déjà avoir catché qu'elles me faisaient peur. Bon, sauf peut-être les lapins et les tortues. Étonnamment, je me sens plutôt... prête. J'ai demandé à Damien de tout me laisser faire toute seule en guise de test ultime. Mon principal défi : me rappeler qui mange quoi. Bien que ce ne soit pas moi qui prépare les gamelles, c'est moi qui ai la responsabilité de les distribuer à qui de droit. Ça doit sûrement avoir des allergies, les animaux? Imagine, j'en tue un. Je profite du fait que les deux perroquets soient concentrés à s'affûter le bec après une branche pour aller nettoyer la tablette où on leur laisse leur nourriture. Du bout des doigts, je balance dans la chaudière les morceaux de papaye d'hier auxquels ils n'ont pas touché. Visiblement pas leur fruit préféré, ce qui nous fait au moins ça en commun. Je change leur eau et passe un coup de râteau pour ramasser les écailles de graines de tournesol, replaçant mon bandeau sur mes oreilles. C'est un truc auquel j'ai pensé cette nuit, le bandeau; pas envie de repartir d'ici avec un lobe d'oreille en moins. J'en ai encore parlé à personne, mais advenant que l'expérience devienne trop sketch, j'hésiterai pas à me désengager avant la fin de mes trente jours. C'est beau le don de soi, mais je vais quand même pas attendre de me faire kicker par un cheval ou de finir avec les intestins obstrués de nouilles ramen.


— SAINT-MICHEL-DES-SAINTS!


Le Grand Nord, toé chose. 🙄



Normalement, je devrais maintenant enchaîner avec les coatis, mais le fait est qu'hier, il y a eu, comment dire, « un accrochage » entre eux et moi. L'enquiquinement fut assez sérieux pour que je prévienne Choco que plus jamais je n'entrerais chez eux, no es negociable. Ils sont quatre, les coatis : deux mâles et deux femelles. Au début, je les avais pris pour des blaireaux, parce que je savais même pas que ça existait, des coatis. Anyway. Hier donc, quand Damien et moi sommes entrés dans leur cage, c'est comme si deux fils s'étaient touchés dans leurs petits cerveaux de Procyonidés (c'est le nom de leur famille). Damien m'avait bien avisée : être calme et en confiance, parce que ce sont des animaux particulièrement sensibles à la peur chez l'être humain. Yeah right, comme s'il s'y connaissait vraiment. Évidemment, son conseil a plutôt eu l'effet contraire à celui escompté, me laissant totalement effrayée avant même d'avoir posé le pied dans la cage. J'imagine que c'est donc ma peur bleue combinée au bol débordant de bananes et de melon d'eau qui leur a fait perdre la tête. En moins de temps qu'il n'en faut pour crier à l'aide en espagnol, les coatis se sont rués directement sur nous. Impossible de retenir un cri (et un sacre, han) quand l'un d'entre eux m'a grimpé autour de la jambe avec ses petites maudites griffes qui faisaient mal. Faites qu'il me morde pas, faites qu'il me morde pas. « RESTE CALME » que s'est écrié Damien, lui-même aux prises avec un Procyonidé autour de la jambe et un autre sur les épaules. Il me niaise-tu? Je m'en suis finalement sortie lorsqu'il a laissé tomber un morceau de banane sur lequel mon assaillant s'est garroché, me permettant d'aller me réfugier dans l'antichambre en abandonnant mon formateur à son triste sort.


Le retour miraculeux de la nourriture pour tous

Sans trop que je m'en aperçoive, une semaine finit par s’écouler, puis deux. Toujours vivante, avec tous mes doigts et mes oreilles. Je peux certainement pas dire que je prenne plaisir à vivre cette expérience, mais j'y trouve assurément un sens. Travel doesn't become an adventure until you leave yourself behind, ça a l'air. C'est pas mal ça, ici : accepter de sacrifier mon propre bien-être au profit de ce pour quoi je me suis engagée, sans rien attendre en retour. Mes journées préférées sont celles que je passe avec Loth, qui a été formée un peu partout : à la zone 2 (la mienne), la zone 1 (celle de son chum), au Frutero. Lorsqu'on est ensemble, l’une de nous peut divertir les animaux depuis l'extérieur des cages pendant que l’autre peut faire don d'elle-même plus facilement.


Le départ des volontaires auxquels on a succédé a coïncidé avec le retour de la nourriture pour tous. 🪄 Désormais, on mange non seulement à notre faim, mais on mange aussi drôlement bien, puisque Loth est cheffe! Oui, madame. C'est pas peu dire, la barre était haute lorsqu'est venu mon premier jour en cuisine. Qui plus est, ça tombait un samedi, soit deux jours avant les courses; mes options étaient limitées, mais comme on avait un shit load de tomates au Frutero, je suis allée en chercher soixante (dit la fille qui se sentait mal de prendre deux bananes à son arrivée) pour faire la recette de sauce tomate de Ricardo en double. Ç'a l'air de rien, mais c'est de la job, faire de la sauce tomate pour dix. Juste faire bouillir de l'eau, c'est compliqué ici. Je m'y suis mise dès 8h : faire une incision en forme de croix à la base des (soixante) tomates, les blanchir, les faire tremper dans l'eau froide, les peler, fuck l'épépinage, les passer au blender pété (la recette disait pas sans machine? 🤔), peler et couper douze gousses d’ail, ah non plus que ça parce que ce serait bon du pain à l'ail on the side (c'est vrai, il faut aussi que je fasse du pain cet après-midi), aller chercher du romarin dans le jardin. Pour ma sauce, oui, mais aussi pour la bouffe des chiens, qui était à préparer en même temps. « De quessé, du romarin pour la bouffe des chiens? » Et pas seulement que : de l'origan, aussi, parce que ça a l'air que c'est important pour leur santé, que nous a appris Choco la journée où il nous a montré comment préparer leur nourriture. Ici, aucune chance de tomber sur des croquettes ©Purina Formule Complète : on concocte plutôt un répugnant bouilli au poulet (et aux fines herbes...), qui doit impérativement avoir une texture de risotto crémeux. Et le tout (mes pâtes, mon pain à l'ail et la bouffe des cabots) se devait d'être prêt pour midi tapant : coup de gong, le repas est servi. C'est pas mêlant, je me sentais comme en finale des Chefs. Et à voir comment tous semblent avoir apprécié mon repas, je crois que Normand Laprise aurait annoncé que j'avais gagné.



La vie normale ici, quoi

Dans ma journée de congé, j'allais au village, surtout au Café Tango. Je buvais des jus de fruits frais et je mangeais des arepas, des brownies véganes ou des déjeuners avec extra fromage. Je lisais ou j'écrivais ou je ne faisais rien du tout. Quand j'avais de la chance, je tombais sur Emmet Brown. Avant de regagner le refuge, je vérifiais si Loth avait besoin de cigarettes, le paquet bleu foncé avec une bille qui s'active pour faire mentholer (je sais toujours pas vraiment ce que ça veut dire). À l'occasion, on allait chercher de la pizz et y'a même un soir où j'ai fait de la poutine avec la sauce en sachet ©St-Hubert que je traînais depuis trois mois, me prenant un peu pour Bruno Blanchet. On allait de temps à autre boire un coup à La Bohème et la découverte d'un four à raclette miraculeusement pas pété et de fromage importé au Café Tango nous a rendus fous comme de la marde (on va te prendre un 649, por favor). Au fil des jours, je m'étais liée d'amitié avec Compost, un petit chat que tout le monde semblait ignorer, mais qui m'attendrissait tout particulièrement. Et sans que j'en aie conscience, j'étais en train de me créer de nouvelles habitudes à mesure que je m'adaptais à ma nouvelle réalité et que mes perspectives s'élargissaient. Pis entre vous et moi, j'étais franchement pas si mal que ça.


***


— PUTAIN, QUELQU’UN A PENSÉ À ANTONIO?


On jouait au trou de cul en buvant des Paceña, attendant que l'électricité et que l'eau reviennent pour pouvoir se laver. La vie normale ici, quoi. On avait oublié le gros tapir qui mange trois fois par jour, son dernier repas étant... v'la deux heures. Hon. Par solidarité, j'ai accompagné Loth. Elle était venue à mon secours tellement souvent : avec les chevaux et l'Amazonas passif-agressif, quand j'ai laissé s'échapper deux inséparables, quand Laila, le petit singe à qui il manque un bout de patte, me sautait SUR LA TÊTE. 😱 Le gros Tony nous attendait de pied ferme (de patte ferme?) et pendant que Loth allait déposer son snack dans le pneu lui servant d'assiette, je me suis fait pisser dessus par l'agouti. La vie normale ici, quoi.



Assistante vétérinaire sans frontières

Les tâches à accomplir étaient loin de toutes figurer dans le manuel du volontaire. Cette journée-là, Loth et Hedi étaient en congé et Choco était parti dans sa famille, ne laissant plus qu'Alicia (la vet) et moi pour veiller au bien-être de tous les résidents. Or, il s'avéra qu'une gallina (🐓) était mal en point. Alicia, que je comprends jamais rien quand elle parle à cause de son accent chilien, m'a demandé de la suivre au veterinario, où elle s'est affairée à chercher un médicament et une seringue. On est passées à la cuisine pour récupérer la balance (que j’utilise pour peser la farine quand je fais le pain) et le grand bol mauve (que j’utilise pour faire lever le pain). Dans le poulailler, elle a pris la volaille blessée comme on prendrait un chat et m'a demandé de l'immobiliser sur un muret. Qu'on s'entende bien : c'est pas que j’aie peur des poules (même si mon ex vous dirait le contraire), mais je peux pas dire non plus que je me sentais suuuper à l’aise. Mais leave yourself behind, Amélie. Maladroite, je me suis exécutée; elle était douce et j'avais peur de lui faire mal. C'est à ce moment qu'Alicia m'a donné une consigne que j'ai d’abord cru avoir mal comprise. Hein, mettre la poule dans le Tupperware?! Mais en la voyant mettre le bol sur la balance et faire la tare, j'ai compris que oui, je devais mettre la poule dans le bol que je prends pour faire lever le pain. Délicatement, j'ai tenté de la soulever par la poitrine (que j'ai imaginée dans une poutine Benny viande blanche, mea-culpa), mais elle s'est débattue si fort que... j'ai eu peur. Bon, mon ex a peut-être raison. Alicia a pris la situation et la gallina en main, la déposant au fond du bol. Elle pesait quelque chose comme 1100 grammes et je savais toujours pas à quoi tout ça rimait, jusqu'à ce que, eurêka, je comprenne qu'on était en train de déterminer quel dosage de médicament lui administrer!



Bien faire les choses

Le 30 septembre au matin, j'ai enfilé pour la dernière fois mes guenilles trouvées dans la penderie un mois plus tôt. J'avais réussi. J'étais contente, oui, mais pas folle de joie non plus. Bon OK, je vais vous le dire à vous : moi qui avais tant eu envie de sacrer mon camp après deux jours, j'avais maintenant la vague à l'âme de quitter cet endroit. De quitter les gens que j'y avais rencontrés.


J'étais censée être en cuisine et j'adorais les journées en cuisine : je mettais de la musique et j'usais de créativité pour concocter des repas avec ce que j'avais sous la main. Je voulais faire un dernier repas spécial, comme la fois où j'avais fait des falafels et des brioches à la cannelle. C'était une habitude qu'on avait prise, cuisiner un dessert qu'on mangeait en collation avant même le repas du soir, du moins jusqu'à ce qu'on trouve qu'on était en train de devenir gros. Sauf qu'il n'allait pas y avoir de repas fancy aujourd'hui, parce que le nouveau que j'avais commencé à former il y a deux jours (c'était rendu moi la pro, you know) s'était cassé : il avait laissé un sac de jute à moitié rempli de crottes de cheval et il était parti. Ça m'a d'abord contrariée, jusqu'à ce que je me rappelle que ça aurait très bien pu être moi. (Mais j'aurais quand même fini de remplir le sac.) Alors en plus d'être en cuisine, il fallait aussi que je m'occupe de mes animaux une dernière fois. À chacun, j'ai pris le temps de dire au revoir. Et merci. (OK, sauf aux coatis.) Ils m'avaient en quelque sorte poussée à aller exactement là où je m'efforçais de ne pas aller.


Des falafels, quelqu'un? Attention, vous pourriez bien mordre dans un morceau de bois provenant de la spatule qui me servait à déprendre le mélange qui pognait sans cesse dans le fond du blender pété.

Naturellement, j'ai passé la journée à faire le bilan de toute cette expérience. Qu'allais-je donc en conserver? Je repensais aux après-midi à nettoyer la piscine des cochons sauvages, au jus de poulet cru qui me coulait sur les avant-bras lorsque, du bout des pieds, je déposais une tête de poule devant la cabane des chats sauvages, à toutes ces fois où j'ai dû faire tremper mes doigts dans de l’eau de Javel pour éviter que mes bobos ne s'infectent. En fin d'après-midi, j'ai désencrassé pour la dernière fois la casserole du risotto crémeux des chiens; on faisait ça à la hose, dehors, et Compost m'avait suivie, lui qui ne bougeait que très rarement du four à pizza sur lequel se déroulait toute son existence. J'avais pris soin de lui construire un petit abri pour le protéger de la pluie, parce que c'était pas vrai du tout qu'il faisait beau pis chaud, à Samaipata. Je suis allée porter une dernière brouette de foin aux chevaux et j'ai fait fi de la rétrogradation de Mercure qui n'était pas propice à l'arrosage des plantes, parce que je tenais à me donner jusqu'à la fin. How you do anything is how you do everything.


Et c'était de ça que j'étais le plus fière : avoir bien fait les choses, même si ça ne me rapportait rien à moi à proprement parler. J'avais réussi à me désintéresser de moi-même pour me concentrer sur le bien-être des autres et sur le bon fonctionnement de ce refuge, et je partais avec la conviction que ma présence ici avait amélioré, ne serait-ce qu'un tant soit peu, le monde.


Et dire que j'ai pensé quitter après deux jours.



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